Android, Chrome, Search : le Japon s’attaque frontalement à l’écosystème Google et remet en cause un monopole que tout le monde acceptait
En avril 2025, le Japon a frappé un grand coup contre les pratiques jugées anticoncurrentielles des géants de la tech. Pour la première fois, la Commission japonaise du commerce équitable (JFTC) a émis une injonction officielle à l’encontre de Google, exigeant qu’il cesse de privilégier ses propres services, en particulier Google Search et Chrome, sur les appareils Android vendus dans l’archipel.
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Cette décision, inédite dans son intensité et sa portée, s’inscrit dans une tendance mondiale de reprise en main des marchés numériques par les autorités de la concurrence. Mais elle marque surtout un signal fort : même les entreprises les plus puissantes du monde ne sont plus au-dessus des règles du jeu. Décryptage.
Des accords jugés anticoncurrentiels
Selon les résultats de l’enquête menée par la JFTC depuis 2020, Google aurait conclu des contrats d’exclusivité implicites avec au moins six fabricants de smartphones Android actifs sur le marché japonais. En échange d’un partage des revenus publicitaires, ces constructeurs acceptaient de :
- Préinstaller obligatoirement Google Chrome et Google Search sur tous leurs appareils.
- Écarter les services concurrents (comme Firefox, Bing ou Yahoo Japan) des écrans d’accueil.
- S’abstenir d’offrir aux utilisateurs des options de changement par défaut faciles et immédiates.
Ces pratiques, bien qu’habituelles dans l’univers Android, sont désormais considérées comme entravant le jeu de la concurrence et nuisant à l’innovation et au choix du consommateur.
Une injonction stricte et un encadrement renforcé
La Commission japonaise n’a pas simplement demandé un changement de posture. Elle a exigé des modifications concrètes et immédiates des contrats passés avec les fabricants partenaires. Ceux-ci devront désormais pouvoir :
- Préinstaller d’autres navigateurs ou moteurs de recherche s’ils le souhaitent.
- Offrir aux utilisateurs un vrai choix dès la configuration initiale.
- Recevoir une part des revenus publicitaires même s’ils n’utilisent pas exclusivement les produits Google.
Google devra en outre nommer un tiers indépendant chargé de surveiller sa conformité à ces exigences pendant les cinq prochaines années. Un mécanisme de contrôle strict et inédit pour ce type d’affaires au Japon.
Une première historique pour le Japon
Jusqu’ici, le Japon était perçu comme relativement souple envers les grandes plateformes numériques. Mais en 2024, le pays a adopté une loi inspirée du Digital Markets Act européen, visant à limiter les abus de position dominante des géants du numérique comme Apple, Amazon, Google ou Meta.
L’injonction contre Google constitue donc une application concrète et spectaculaire de cette nouvelle législation. Elle positionne le Japon comme un acteur majeur de la régulation tech à l’échelle mondiale.
La réaction de Google : entre déception et défense
Dans un communiqué, Google a exprimé sa déception face à la décision de la JFTC, affirmant que ses partenariats avec les fabricants japonais “ont stimulé l’innovation et offert plus de choix aux consommateurs”.
Mais cette défense sonne creux face aux preuves rassemblées par la commission, et face aux reproches déjà formulés dans d’autres régions du monde. Aux États-Unis, Google est visé par plusieurs procédures antitrust. En Europe, la Commission continue de surveiller ses pratiques de près, notamment concernant Android et son écosystème publicitaire.
Pourquoi cette affaire est bien plus qu’un simple différend commercial
Ce que révèle cette affaire, c’est une prise de conscience globale : les écosystèmes fermés, les accords exclusifs, les pratiques d’autopromotion systématique ne sont plus tolérés dans des marchés où la concurrence est la règle.
Le Japon, en s’attaquant frontalement à Google, montre que les régulateurs asiatiques ne veulent plus rester passifs. Ils veulent protéger leurs entreprises locales, favoriser l’innovation intérieure, et garantir un accès équitable aux plateformes numériques.
Google face à un nouvel équilibre mondial
Cette décision japonaise n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une vague réglementaire globale qui vise à redonner du pouvoir aux consommateurs et aux concurrents. Et si Google veut continuer à évoluer dans ces marchés, il devra adapter ses pratiques, diversifier ses modèles… et apprendre à composer avec des règles plus strictes.
Le Japon vient peut-être d’ouvrir un nouveau chapitre dans la relation entre les États et les géants du numérique. Un chapitre où l’égalité des chances numériques pourrait enfin redevenir une priorité.
Un avis personnel : une décision salutaire, mais trop tardive ?
En tant qu’observateur du numérique depuis des années, je ne peux qu’applaudir cette décision de la JFTC. Elle montre que même les plus puissants acteurs du web doivent rendre des comptes. Cela dit, une question me hante : pourquoi a-t-il fallu attendre 2025 pour réagir à des pratiques en place depuis plus d’une décennie ?
Des millions d’utilisateurs, sans le savoir, ont été orientés, limités dans leur choix, enfermés dans un écosystème sans vraie alternative. Ce genre de monopole “invisible” est d’autant plus dangereux qu’il agit sur nos usages quotidiens sans qu’on s’en rende compte. Cette décision n’est pas seulement une victoire juridique, c’est un rappel à l’ordre démocratique : la technologie ne doit pas dicter les règles du marché, encore moins les manipuler.