Le Canada devance la France sur le nucléaire du futur avec une technologie vieille de 70 ans… remise au goût du jour
Alors que les géants de l’énergie mondiale planchent sur des technologies de rupture pour répondre à la demande croissante d’électricité bas-carbone, le Canada prend tout le monde de court. À Darlington, en Ontario, débute la construction d’un nouveau type de réacteur nucléaire : compact, modulaire et basé sur une technologie éprouvée depuis les années 1950. Une petite révolution qui pourrait changer le visage du nucléaire civil dans les prochaines décennies.
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Un chantier discret mais stratégique : les SMR prennent vie
Le projet canadien, porté par Ontario Power Generation (OPG) en partenariat avec GE Vernova Hitachi Nuclear Energy, repose sur la construction de quatre petits réacteurs modulaires de type BWRX-300. Chaque unité pourra produire 300 mégawatts d’électricité, soit de quoi alimenter environ 300 000 foyers. Une fois l’ensemble opérationnel, la centrale fournira l’électricité nécessaire à 1,2 million de Canadiens.
Ce n’est pas la taille qui impressionne, mais la logique industrielle derrière ces petits réacteurs. Les SMR (Small Modular Reactors) offrent une alternative plus agile et potentiellement moins coûteuse aux réacteurs nucléaires traditionnels, souvent associés à des délais de construction longs et des dépassements budgétaires.
Un retour en grâce des réacteurs à eau bouillante
Le BWRX-300 est un descendant direct des premiers réacteurs à eau bouillante (BWR), une technologie largement utilisée depuis plus de 70 ans. Mais là où les anciens réacteurs nécessitaient des infrastructures gigantesques, cette version compacte mise sur la standardisation, l’assemblage modulaire et une construction plus rapide.
Grâce à cette approche, OPG espère réduire les délais de livraison à quelques années, contre une décennie pour une centrale classique, tout en maîtrisant les risques industriels. Le réacteur utilise un combustible facilement accessible (uranium commercial) et s’intègre dans une logique évolutive : un ou plusieurs modules peuvent être ajoutés selon les besoins du réseau électrique.
Réponse directe aux défis énergétiques de demain
L’Ontario, comme bien d’autres régions industrialisées, anticipe une hausse importante de sa consommation électrique d’ici les années 2030. Avec la fermeture des dernières centrales à charbon et l’essor des véhicules électriques, le réseau devra être renforcé rapidement. Les SMR représentent ici une solution crédible : propre, pilotable et adaptable.
Contrairement aux énergies renouvelables, les réacteurs modulaires peuvent fournir une puissance constante, quel que soit le temps ou l’heure. Ils constituent ainsi un complément idéal dans un mix énergétique dominé par le solaire et l’éolien, encore trop intermittents pour répondre seuls à la demande.
Le Canada mise sur l’exportation de sa technologie
Au-delà de ses besoins domestiques, le Canada ambitionne de devenir un acteur-clé du marché mondial des SMR. Des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède et la Pologne suivent de près l’évolution du projet de Darlington. L’idée : dupliquer cette infrastructure dans d’autres contextes géographiques, notamment pour des zones reculées ou des réseaux peu densifiés.
Le président de GE Vernova, Scott Strazik, résume l’enjeu : « Ce projet démontre que le nucléaire peut encore innover, produire de l’électricité décarbonée et répondre aux besoins énergétiques de demain. »
Face au Canada, une France encore en phase de conception
La France, pourtant pionnière du nucléaire, n’a pas encore lancé la construction d’un SMR. EDF développe actuellement le projet Nuward, un réacteur à eau pressurisée de nouvelle génération, avec un prototype attendu autour de 2030. D’autres acteurs comme Calogena, Hexana, Otrera ou Newcleo planchent également sur des concepts de réacteurs plus innovants, certains de génération IV (refroidis au sodium ou au plomb), encore à l’état expérimental.
En misant sur une technologie ancienne mais éprouvée, le Canada prend une longueur d’avance. Il privilégie le réalisme à l’audace technologique, avec un objectif clair : livrer rapidement une énergie décarbonée fiable et économique.
Un modèle modulaire à fort potentiel
Les SMR ne remplaceront pas les grandes centrales actuelles, mais ils s’imposent comme une solution complémentaire et pragmatique. Leur taille réduite permet une intégration facilitée dans les réseaux existants, leur construction rapide répond aux urgences climatiques, et leur modularité en fait un outil flexible pour les pays en transition énergétique.
Le Canada pourrait bien devenir la vitrine mondiale de ce nouveau nucléaire à échelle humaine. Et peut-être, à terme, imposer sa technologie sur un marché que la France pensait dominer.
Résumé du projet BWRX-300 en chiffres
- Nom du réacteur : BWRX-300
- Technologie : Réacteur à eau bouillante (modulaire)
- Puissance unitaire : 300 mégawatts
- Nombre de réacteurs prévus : 4
- Puissance totale : 1 200 mégawatts
- Nombre de foyers alimentés : 1,2 million
- Combustible : Uranium standard
- Pays intéressés : USA, UK, Suède, Pologne
Vers une révolution silencieuse du nucléaire
Le nucléaire n’a pas dit son dernier mot. Dans l’ombre des grandes centrales, une révolution modulaire est en marche. Le Canada a fait un choix audacieux : celui de la simplicité technologique au service de l’efficacité énergétique. Une stratégie qui pourrait bien rebattre les cartes à l’échelle internationale… et forcer ses concurrents, dont la France, à accélérer le tempo.
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